La France en référence au Bellevue Arts Museum

La France était à l’honneur, il y a peu, à Seattle avec l’exposition Elles du Centre Pompidou. Elle est maintenant prise en référence au Bellevue Arts Museum. Si vous n’en avez pas encore eu l’occasion, il est temps d’aller y visiter la Biennale organisée sur le thème « Alimentation riche en fibres ». De nombreuses surprises en lien avec la France vous y attendent.

Dès l’entrée de cette exposition, votre ouïe est en alerte. Vous êtes attirés. On vous susurre à l’oreille un poème de Stéphane Mallarmé alors même que se déroule sous vos yeux une scène étonnante : des centaines de perles noires sont brodées sur une langue d’agneau. Six heures de travail quotidien pendant quatre jours ont été nécessaires à l’artiste Amanda Manitach pour recouvrir intégralement cet organe. Tout le long de cette prestation singulière, on nous répète en boucle ce sonnet en X, hermétique, à connotation religieuse et mythologique, partie intégrante de l’œuvre présentée. Le poète y fait apparaitre les licornes, le Phénix et le Styx. Ses vers sont si fluides que l’oreille croit entendre un mot étranger, total et mystérieux, comme incantatoire.

On quitte cette première œuvre pour se diriger vers la seconde. En chemin, c’est votre vue qui cette fois-ci est alertée. Partie intégrante de l’œuvre de Tamara Wilson, cette bicyclette en feutrine vous semble familière, mais pourquoi ? En l’observant de plus près, vous saisissez ce deuxième clin d’œil à la France : il s’agit d’un Lion sur le cadre du vélo, tout à fait caractéristique de cette grande marque hexagonale…

Ça n’est pas terminé ! Un peu plus loin, l’artiste Christine Chaney a été inspirée par l’œuvre de Géricault exposée au Musée du Louvre, le Radeau de la Méduse. Elle nous rappelle un épisode peu glorieux de notre Histoire et source de scandales à l’époque. Sous la seconde Restauration, le roi Louis XVIII envoie une mission pour entériner la restitution du Sénégal à la France par les Britanniques. Il nomme comme capitaine de l’un des trois navires en mission, la Méduse, le commandant Hugues de Chaumareys tout juste rentré d’exil après la Révolution alors même que celui-ci n’a pas navigué depuis plus de vingt ans. En voulant prendre de l’avance, ce capitaine incompétent fait dévier son navire de la route initialement prévue. La Méduse s’échoue sur un banc de sable. L’évacuation est organisée. Mais, les canots de sauvetage sont insuffisants. Presque 150 personnes s’entassent alors sur un radeau dont l’amarre est mystérieusement rompue ou volontairement larguée, on ne saura jamais. Le capitaine n’organise aucune opération de sauvetage pour ces malheureux qui ne disposent que de très peu de vivres et d’eau. Finalement, le radeau est repéré après 13 jours avec à son bord seulement quinze rescapés, suspectés de s’être battus, entretués, voire d’avoir commis des actes de cannibalisme pour survivre. Ici, le visiteur est invité à passer au beau milieu des débris de ce radeau symbolisé par l’artiste grâce à des morceaux de bois flotté autour desquels sont tressés des lambeaux de tee-shirts gris. Au sol, quinze tronçons de bois encerclés de tissus rouge évoquent les rescapés du naufrage.

Demi-tour pour découvrir la surprise majeure qui au sein de cette biennale fait référence à la France. L’ensemble artistique se trouve de l’autre côté de l’exposition ; vous êtes attirés. Vous apercevez d’abord un espace de travail comprenant un pupitre jonché de livres, une station musicale moderne et un cadre à broder. Bientôt, vous parvient cette mélodie caractéristique de la musique médiévale, invitant à la méditation. L’ambiance est posée. Approchez-vous ! Exposées, trois broderies illustrent déjà le printemps, l’été et l’automne. L’hiver est en cours de réalisation sur ce cadre à broder et devrait être achevé par l’artiste d’ici la fin de la biennale. Ce thème des quatre saisons, du temps qui s’écoulent, nous rappelle évidemment un thème classique traité depuis l’Antiquité et illustré par de nombreux artistes européens célèbres. Le premier artiste qui nous vient à l’esprit est, peut-être, Guiseppe Arcimboldo qui traita ce thème de façon maniériste pour des commandes impériales de Ferdinand Ier ou Maximilien II de Habsbourg. Une des séries des quatre saisons réalisées par cet artiste est toujours exposée au Musée du Louvre à Paris.

Mais, là ne s’arrêtent pas les références. C’est en étudiant attentivement la lecture proposée par l’artiste que vous serez saisis. Neuf livres sont disposés sur le pupitre. Parmi ces ouvrages deux attireront votre regard : Le premier est un documentaire sur l’emblématique Dame à la Licorne exposée aujourd’hui au Musée du Moyen-âge de Cluny à Paris. Cette fameuse tapisserie tissée au XVe siècle dans les Flandres, berceau de la tapisserie au Moyen-âge, suscite toujours aujourd’hui une forte admiration. Elle est composée de six tapisseries, dont cinq sont des allégories des cinq sens, mais reste entourée de nombreux mystères dus au manque d’archives de l’époque. Le second est un ouvrage du philosophe français Michel Foucault, cité en 2007 par The Times Higher Education Guide comme l’auteur en sciences humaines le plus cité au monde.

Enfin, si vous avez la chance de pouvoir observer l’artiste à l’ouvrage (Rock Hushka travaille sur sa broderie chaque vendredi et dimanche après-midi au BAM), vous pourrez lui poser quelques questions. Il vous parlera de sa technique et de sa quête. Il vous expliquera combien il est lié à l’Art de la tapisserie tel qu’on le pratiquait en France au Moyen-âge et comment il travaille dans la droite lignée de la manufacture des Gobelins. Peut-être pourrez-vous alors lui demander si ce sont des tâches de son sang qui maculent son ouvrage ?

La Biennale 2012 « High Fiber Diet » est présente au Bellevue Arts Museum du 25 octobre 2012 au 24 février 2013.

Sylvie JOSEPH-JULIEN – Atelier d’Ichere

atelier.ichere@live.fr

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